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Pour tous ceux qui n'auraient pas pu assister au colloque international de Recherche de la FFAB-R du 12 septembre dernier à Paris, ou pour ceux qui souhaiteraient garder une trace de ces échanges d'une grande qualité, voici une synthèse de la journée écrite par Mireille Peyronnet.

Le document est publié in extenso ci-dessous et aussi téléchargeable (format PDF) ICI


Mireille Peyronnet est Docteur en Pharmacie et titulaire d’une thèse dans le domaine des neurosciences. Journaliste médicale, elle écrit pour la presse médicale et pharmaceutique.



Que sait-on aujourd’hui des facteurs de vulnérabilité aux troubles des comportements alimentaires ?

Les réponses par l’approche translationnelle

Début septembre, Paris accueillait l’European Council on Eating Disorders (ECED). L’occasion pour le Groupe de Recherche Interdisciplinaire de la Fédération Française Anorexie-Boulimie (FFAB-R) de rassembler des spécialistes nationaux et internationaux afin de présenter et débattre de leurs dernières recherches sur le passionnant sujet des facteurs précoces de vulnérabilité aux troubles du comportements alimentaires (TCA).

Tout au long de la journée du 12 septembre, dans l’amphithéâtre du Groupe Hospitalier Universitaire (GHU) Paris Psychiatrie et Neurosciences Sainte-Anne à l’Institut de Psychiatrie et Neurosciences de Paris (IPNP), cliniciens et chercheurs fondamentaux croisaient leurs regards pour une approche translationnelle des facteurs de risque récemment identifiés, qu’ils soient génétiques ou environnementaux, et en particulier de leur interaction.

Les comportements alimentaires sont façonnés très précocement.

Le lien entre comportement alimentaire et style de vie est désormais bien connu de tous. Pour l’illustrer, citons le lien évident qui existe entre l’obésité et une prise alimentaire excessive à laquelle s’ajoute la sédentarité.

Moins évident est le lien qui unirait comportement alimentaire à l’âge adulte et ce qui s’est passé sur le plan nutritionnel pendant la période gestationnelle, périnatale ou pubertaire.

« Avec mon équipe, explique Patricia Parnet (Nantes, France), nous avons exploré de quelles façons le comportement alimentaire peut être formaté très précocement dans la vie par la nutrition et son expérience sensorielle ».

Ses recherches l’ont menée à former un nouveau concept selon lequel le statut nutritionnel, métabolique et hormonal des parents AVANT la conception pourrait influencer le futur comportement alimentaire de l’enfant. Tout comme celui de la mère PENDANT la grossesse et l’allaitement.

 

Pour poursuivre dans le contexte de l’obésité, Murielle Darnaudery (Bordeaux, France) et son équipe se sont intéressées aux interactions de la diète très grasse de la mère associée à un stress précoce chez son petit, sur le futur comportement alimentaire de ce dernier, devenu adulte, dans une société moderne où la consommation de graisses est très élevée.

Dans leurs recherches, le stress précoce est réalisé par une séparation des souriceaux nouveau-nés de leur mère. L’effet de la séparation précoce de la mère augmente la motivation des petits pour une nourriture riche. Si elle est combinée à une diète maternelle très riche en graisses, la vulnérabilité à l’obésité induite par la diète du petit est accrue.

Ainsi, la diète maternelle très grasse couplée au stress précoce exerce un effet de programmation du comportement alimentaire de la descendance.

L’interaction entre stress et nutrition PENDANT la vie précoce, capable d’influencer le futur phénotype adulte est désormais bien établie. Quel serait le substrat d’une telle interaction ?

 

La question de l’origine neuro-développementale des troubles du comportement alimentaire est l’une des hypothèses soutenues, même si elle ne fait pas consensus. Déjà, pour certaines maladies (trouble du spectre autistique, dyslexie ou encore schizophrénie) qui affectent elles aussi les jeunes, un faisceau de données a permis d’attester de l’origine neuro-développementale : apparition dans l’enfance ou l’adolescence, troubles cognitifs, réponse altérée au stress, altération de la morphologie cérébrale. A l’instar de ces maladies, les TCA seraient-ils donc, eux aussi, sous tendus par des anomalies neuro-développementales ? Angela Favaro (Padoue, Italie) qui a exploré le lien entre les complications obstétricales (événement périnataux qui altèrent la nutrition de l’enfant in utero) et la survenue de l’anorexie mentale (AM) ou la boulimie, est favorable à cette hypothèse.

En effet, avec son équipe, elle a tout d’abord démontré l’existence d’un lien entre l’existence de complications obstétricales (anémie, pré-éclampsie, diabète, infarctus placentaire, problèmes cardiaques …) chez la mère et la survenue d’AM ou de boulimie chez l’enfant.

Poursuivant ses recherches, en focalisant son étude sur les patients anorexiques, elle observe que ces événements en période gestationnelle ont eu un effet négatif sur le volume et la connectivité fonctionnelle (mis en évidence par IRM fonctionnelle) d’une partie du cerveau nommée striatum (impliquée plus particulièrement dans les aspects motivationnels de la prise alimentaire).

Mais l’étude du volume cérébral ne suffit pas à une étude développementale approfondie. C’est pourquoi, cette équipe italienne s’est également intéressée à la morphologie du cerveau en choisissant d’étudier la gyrification du cortex c’est à dire le plissement du cortex, qui se déroule au troisième trimestre de vie intra-utérine, restant stable ensuite. Cette étape sous-tend des patrons de connectivité. Pour quantifier ce processus, les chercheurs calculent l’index de gyrification. Des altérations de la gyrification à l’âge adulte reflèteraient des altérations neuro-développementales in utero. Dans leurs premières études chez l’adolescent, il apparait que l’index de gyrification d’adolescents anorexiques est inférieur à celui d’adolescents normaux révélant des altérations dans la morphologie cérébrale. Cela pourrait fournir, si confirmé par d’autres approches, un argument supplémentaire en faveur de l’origine neuro-développementale des TCA.

 

L’approche épidémiologique mise en œuvre par Nadia Micali (Genève, Suisse) fournit des arguments qui abondent dans le sens des résultats précédents. Les effets de la malnutrition périnatale sont étudiés cette fois dans le contexte de mères qui présentent des TCA actifs pendant la grossesse ou qui en ont présenté avant. Chez les enfants, sont étudiés les psychopathologies (désordres émotionnels, anxiété), le comportement (hyperactivité, problèmes comportementaux), le poids. L’ensemble des résultats attestent d’un impact important des TCA de la mère AVANT et PENDANT la grossesse sur le développement cognitif et émotionnel de l’enfant et de son poids.

 

Un nouvel éclairage des TCA par la régulation environnementale du génome.

L’origine génétique des TCA est une voie de recherche très explorée. Dans l’AM, ce sujet d’études prend racine dans une héritabilité très élevée, de l’ordre de 70%, de cette affection. Howard Steiger (Montréal, Canada) fait le point et présente les très nombreux gènes-candidats, associés aux TCA, relatifs aux familles de gènes de neurotransmetteurs  (dopamine, sérotonine, norépinephrine, monoamine oxydase), de neuropeptides ou protéines (Brain-Derived Neurotrophic Factor ou BDNF etc ….), de facteurs hormonaux  (œstrogènes, leptine, ghréline), .  La liste est grande et en évolution permanente mais quelles informations sur la maladie apporte-t-elle ? Récemment, c’est dans le domaine de l’AM que les études d’associations pangénomiques ont permis d’accéder aux résultats les plus intéressants. Il apparait une corrélation génétique avec les maladies psychiatriques (schizophrénie, troubles obsessionnels compulsifs…), les caractéristiques métaboliques (glucose, lipides…), et les maladies auto-immunes. Ces résultats bouleversent la conception de cette affection, révélant une étiologie multiple à la fois, psychiatrique, métabolique et auto-immune.

Mais la complexité ne s’arrête pas là. Nous savons maintenant que le génome lui- même est régulé par l’épigénétique, ouvrant sur l’idée d’une régulation de l’expression du génome par l’environnement. « C’est comme si les potentialités génétiques avaient besoin d’être activées par l’environnement » explique H. Steiger.

Ce qui est particulièrement intéressant dans les TCA, c’est que les recherches lancées pour sonder l’interaction gènes-environnement ont fourni des résultats qui permettent d’appréhender d’autres étiologies possibles de ses affections dressant une nouvelle carte des vulnérabilités aux TCA, et, en creux, désignent des nouvelles voies de prise en charge encore plus appropriées.

Il existe plusieurs mécanismes épigénétiques connus à ce jour. Le plus connus d’entre eux est la méthylation de l’ADN. Il s’agit du branchement d’un élément chimique (le groupe methyl) directement sur le ADN lui-même. Cette modification entraine une modification dans l’expression des gènes méthylés.

D’autres mécanismes ont été mis en évidence qui participent à la régulation de l’ADN (modification des histones, ARN non codant). Howard Steiger examine, dans différents contextes, de quelles façons l’environnement influence la méthylation de l’ADN.

Chez l’animal (rongeur), un raton élevé par une mère calme et stimulante devient un adulte calme. Au contraire, s’il est élevé par un mère anxieuse et faiblement stimulante, il devient un adulte anxieux. Cependant, rien n’est définitif ! Cet effet est réversible si le petit animal négligé est placé auprès d’une mère stimulante.

Il évoque les études menées chez l’homme montrant que l’hyper méthylation des gènes liés au suicide est associé aux abus pendant l’enfance. Poursuivant dans l’idée de réversibilité, il est démontré chez l’homme qu’une psychothérapie fructueuse réduit la méthylation de l’ADN.

Dans le contexte des personnes présentant des TCA actifs, il apparaît une augmentation des niveaux de méthylation des gènes impliqués dans les désordres psychiatriques, du métabolisme, de l’immunité. Ces niveaux se normalisent lorsqu’il y a rémission des TCA.

La mère n’est pas l’unique canal de l’information environnementale vers les gènes. Le père l’est également. Il existe une transmission paternelle de l’information environnementale par l’epigénome du spermatozoïde. Ce qui a été démontré chez les petits de femelles calmes versus anxieuses, se retrouve chez les petits issus de pères calmes versus anxieux. Chez des souris mâles exposées à un stress chronique, des problèmes alimentaires, du stress social et la peur, on observe une altération des marqueurs épigénétiques des cellules de la lignée germinale.

Illustrons ce concept d’interaction gènes-environnement par un exemple concret fourni par les travaux récents de Philip Gorwood (Paris, France) et son équipe. Ils consistent à présenter des images corporelles de maigreur à des patientes anorexiques. Des modifications de la sudation (mesurée par la conductance cutanée) face à ces images de maigreur atteste des émotions intenses qui les parcourent. D’où ce regard nouveau porté sur l’affection : l’anorexie est plus un plaisir de maigrir plutôt qu’une peur de grossir. Elle repose donc sur la stimulation des circuits de la récompense et peut être considérée comme une addiction.

Les chercheurs ont ensuite cherché à analyser ce qui se passait sur le plan génétique chez ces patientes à qui étaient montrées des images de maigreur.

Ils ont choisi de s’intéresser au gène codant pour le BDNF (Brain-Derived Neurotrophic Factor, impliqué dans la survie de neurones et la neuroplasticité). Ce choix est motivé d’une part parce que ce gène est le plus souvent associé à l’AM, et d’autre part par ce que les concentrations plasmatiques de BDNF sont corrélées avec plusieurs symptômes psychopathologiques chez les patients AM.

L’étude de 4 cohortes issues de 3 pays différents fait apparaître que, chez les patientes qui présentent une réaction positive aux images de maigreur, c’est un allèle particulier du gène codant pour le BDNF, l’allèle Met, qui est le plus fréquent.

En ce qui concerne le gène du BDNF, il existe une interaction entre les facteurs génétiques et épigénétiques pour expliquer la vulnérabilité à l’anorexie.

S’il n’est désormais plus possible d’ignorer les composantes génétiques et les interactions gènes-environnement dans l’installation des TCA, les chercheurs se trouvent démunis pour étudier leurs implications. C’est pourquoi, Lori Zeltser (New York USA) s’est attachée à développer un nouveau modèle murin de vulnérabilité à l’AM qui est sensible aux influences à la fois génétiques et environnementales pendant l’adolescence et sur lequel pourront être analysés les effets de nouvelles molécules. Ces modèles se basent sur les gènes de vulnérabilité chez l’humain, notamment le variant génétique BDNF-Val66Met identifié dans les études cliniques. Ils intègrent et combinent également plusieurs autres facteurs de risque notamment des facteurs biologiques (âge, genre), psychologiques (troubles anxieux, stress social…) et comportementaux (diète, exercice physique) qui ont également montré avoir une influence majeure dans d’autres troubles psychiatriques et/ou neuro-développementaux comme la schizophrénie et/ou l’autisme. 

 

Pour conclure ….

L’ensemble des données échangées au cours de cette journée met l’emphase sur ce qui se passe dans les premiers stades de la vie à savoir autour de la naissance (avant et après), pendant l’enfance et la pré-adolescence.

Les TCA ne surgissent pas de nulle part à l’âge adulte. Ils résultent d’un processus qui prend ses multiples racines dans les évènements qui jalonnent tous ces âges de la vie précoce voir bien avant, via les gènes parentaux, en se nourrissant constamment des informations environnementales.

Les approches comportementales, épidémiologiques, cliniques, génétiques et épigénétiques contribuent à la compréhension de la phénoménologie des TCA et participent à façonner des nouvelles approches thérapeutiques au plus proche des besoins des personnes souffrant de TCA. Plusieurs lignes thérapeutiques se détachent.

En premier, humaniser les thérapies en évitant de blâmer les personnes souffrantes. « L’existence de prédispositions pour lesquelles il n’y a pas lieu de se sentir responsable est un fait à présent bien démontré » souligne Howard Steiger. La ligne d’action est de dire aux patients « Vous n’avez pas demandé à souffrir de cette affection » et le dire aussi à l’entourage du patient.

En second, renforcer l’optimisme dans le pronostic. Dans le domaine des interactions gènes x environnement, l’aspect réversible des méthylations de l’ADN n’a échappé à personne. En mettant l’accent sur la « malleable biology », la psycho-éducation gagnerait en pertinence.  Il devient également plausible de promouvoir l’efficacité personnelle pour cheminer vers la guérison.

Enfin, agir en amont de façon à minimiser les répercussions des influences périnatales. Mettre en œuvre des actions préventives autour des enfants à risques (par exemple ceux dont la mère souffre de TCA) apparaît comme une évidence. Moins évident et pourtant si pertinent serait de déployer à grande échelle une prévention basée sur des aides pratiques et l’éducation des futurs parents à l’importance de la nutrition avant la conception, à la réduction et gestion des stress, à la stimulation de leur petit enfant et le soin à apporter à sa nourriture.

 

Les TCA questionnent. Le patient, son entourage… et les chercheurs.

Les dimensions complexes et multifactorielles de la maladie les ont poussés à mettre en communs leurs expertises expérimentales et à aller chercher des informations très loin, jusqu’à la régulation du génome.

Et c’est tant mieux !

Ils en reviennent avec des idées plus précises suivies d’applications pertinentes sur le terrain en s’approchant au plus près des réalités de chaque malade, doté de son histoire propre.

 

 

Mireille Peyronnet

Anorexie Boulimie Info écoute

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